Livre
Jean-Benjamin STORA – La Psychosomatique
Fiche de lecture
Un ouvrage fondateur qui repense la psychosomatique en articulant psychanalyse, neurosciences et immunologie. Jean Benjamin Stora y introduit la notion de “psychisme saturé”, révélant comment le corps peut devenir le lieu d’expression d’une souffrance non symbolisable. Une lecture incontournable pour comprendre le lien entre somatique et psychique.
Jean Benjamin STORA.
La Psychosomatique

N’hésitez pas à donner votre propre avis, en fin de page, si vous avez lu cet ouvrage.
Détails sur cette fiche de lecture
Specifications
Mots clés
psychosomatique
corps-esprit
refoulement primaire
clivage du moi
affect non représenté
symbolisation
trauma précoce
développement psychosexuel
trouble de la mentalisation
alexithymie
inconscient corporel
économie psychosomatique
processus de somatisation
transfert négatif (mauvaise mère)
désintrication pulsionnelle
surmoi archaïque
pathologie de l’agir
PNI (psycho-neuro-immunologie)
Note d'introduction
Ce livre a profondément bouleversé ma compréhension de la métapsychologie freudienne.
Là où Freud posait des jalons quasi immuables – notamment dans le développement psychosexuel, considéré comme figé une fois les stades franchis –, Jean Benjamin Stora rouvre le champ des possibles. Il propose une pensée clinique où le transfert peut réactiver, transformer, voire relancer des mouvements de développement longtemps considérés comme clos.
À la lecture de La psychosomatique, une image m’a marqué : celle d’un psychisme saturé, comme s’il pouvait, littéralement, ne plus suffire à traiter l’excès d’excitation, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur. Ce débordement, non élaboré psychiquement, trouve alors un autre exutoire : le corps. Ce déplacement bouleverse les repères traditionnels, et met en lumière la souffrance somatique comme solution faute de mots.
Ce qui m’a passionné, c’est l’audace de Stora à faire dialoguer des disciplines longtemps séparées : psychanalyse, neurobiologie, immunologie. Il ne trahit pas Freud ; il prolonge l’élan créateur de la psychanalyse en l’arrimant à l’avancée des sciences du vivant. Il ouvre ainsi un champ clinique où l’on peut penser les maladies auto-immunes, les cancers, les troubles inflammatoires, non pas comme des fatalités organiques, mais comme des expressions complexes de conflits internes, souvent refoulés ou non représentés.
À mes yeux, ce livre fait partie des rares ouvrages capables de “bouger les murs” : ceux qui cloisonnent trop vite l’âme et le corps, la psychologie et la médecine, l’inconscient et les synapses. Il anticipe même, avec lucidité, ce que la recherche confirmera trente ans plus tard : l’interaction corps-esprit est une priorité de santé publique mondiale à l’horizon 2030 (voir PubMed, NIH, etc.).
J’espère que cette fiche vous donnera envie de lire cet ouvrage dense, dérangeant, mais d’une puissance clinique et théorique inestimable. C’est un compagnon de route pour toute personne – thérapeute, soignant ou patient – qui pressent que le corps ne ment pas, mais qu’il parle une autre langue. Une langue que ce livre nous aide à commencer à déchiffrer.
En vous souhaitant une bonne lecture !
Table des matières
Présentation générale du livre
Jean Benjamin Stora, psychanalyste formé à l’École de Paris et fondateur de l’IPSO, propose dans La psychosomatique une refondation du lien corps-esprit. Loin des clivages traditionnels, il postule qu’il existe des situations où l’appareil psychique n’est pas disponible pour traiter certaines excitations. Ce déficit d’élaboration entraîne un passage à l’acte corporel — la maladie — comme tentative de régulation. Ce livre est fondateur d’une nouvelle approche dite intégrative, à la croisée de la psychanalyse, des neurosciences et de l’immunologie.
Ce qui a bouleversé mes repères
Un déplacement du centre de gravité freudien : Freud a focalisé sa métapsychologie sur les effets de l’après-coup et les conflits intrapsychiques liés aux stades de développement psychosexuel (oral, anal, phallique…). Stora critique cette approche en soulignant que les périodes archaïques — prénatales, néonatales, et les tout premiers mois de vie — sont souvent ignorées ou sous-estimées, alors qu’elles jouent un rôle décisif dans la constitution du psychisme corporel.
Une relecture de la symbolisation : Alors que Freud s’inscrit dans une logique du langage et de la représentation, Stora propose d’intégrer les formes de souffrance préverbales, non symbolisées, souvent logées dans le corps lui-même. Il rejoint ici Winnicott, Bion ou Stern en insistant sur l’importance des expériences sensorielles précoces, des enveloppes psychiques, et de l’environnement primaire.
Des concepts métapsychologiques devenus insuffisants : Stora met en évidence les limites du modèle structural (ça, moi, surmoi) pour penser les pathologies où le sujet n’a pas de “moi stable”, ou dont l’appareil psychique est défaillant dès le départ, ne laissant pas la place à un conflit psychique refoulé mais à un trou dans la représentation. C’est le cas dans nombre de troubles psychosomatiques graves, où le corps devient le lieu d’un traumatisme non représenté.
L’intuition freudienne prolongée par les sciences contemporaines : Freud était neurologue, mais il n’avait ni l’outillage des neurosciences modernes, ni l’apport de l’immunologie ou de l’observation du nourrisson. Stora prolonge cette intuition freudienne du lien corps-esprit, mais la refonde entièrement à la lumière de données biologiques et neurodéveloppementales récentes.
Freud, un socle à dépasser : les limites d’un modèle fondateur
Modèle freudien | Lecture selon Stora |
---|---|
Refoulement des pulsions conflictuelles | Absence d’élaboration dès l’origine (non symbolisable) |
Symptôme = compromis psychique | Symptôme = solution de survie somatique |
Moi / Ça / Surmoi comme structure | Corps, système immunitaire, stress = systèmes intégrés |
Importance du langage et du fantasme | Importance du préverbal, du sensoriel et du biologique |
Une révolution interdisciplinaire
Stora fait entrer dans la clinique des notions issues de la biologie contemporaine :
- le système immunitaire comme “soi corporel” (inspiré de George Solomon),
- le rôle du stress chronique sur les organes,
- les liens entre axe HPA, cytokines, inflammation et désorganisation psychique.
Il est l’un des premiers à articuler psychanalyse et neuro-immunologie, bien avant que cela ne devienne une priorité de recherche internationale (cf. PubMed, lettre ouverte de 2021 sur les priorités 2030 en neuroimmunologie).
Concepts fondamentaux abordés
Pensée opératoire : reprise de Marty, mais intégrée à une dynamique neuropsychique plus large.
Pare-excitation défaillant : les excitations non filtrées envahissent le soma.
Imago de la Mère : Stora reproche à la psychanalyse d’avoir trop centré l’étiologie sur le Père. Il propose une réintroduction de la Mère comme figure matricielle du Moi corporel.
Cinq systèmes en interaction : affectif, neurovégétatif, endocrinien, immunitaire, psychique.
Ce que j’en retiens pour ma pratique
Il ne suffit pas de “parler” au patient : il faut rencontrer son corps, son silence, sa saturation.
La pluridisciplinarité n’est pas un luxe, mais une nécessité clinique : somaticiens, psychanalystes, immunologues doivent cohabiter pour comprendre certains cas.
En thérapie, il m’arrive de repérer des zones de non-symbolisable. Là où Freud parlait de refoulement, je me demande désormais : “et si ce patient n’avait jamais pu symboliser ?”
Conclusion personnelle
Ce livre ne m’a pas seulement appris des choses. Il m’a désappris. Il a remis en question ce que je croyais établi — sur Freud, sur le psychisme, sur le corps. Stora ne propose pas une énième théorie : il offre un changement de regard, un dépassement du dualisme et une invitation à penser la chair, le trauma et le lien autrement. Une lecture indispensable pour tout praticien qui, face à un symptôme corporel, se demande : “Et si le corps parlait là où l’âme s’est tue ?”
L'auteur de cet ouvrage qui a marqué la psychosomatique moderne
Jean Benjamin Stora est psychanalyste, psychosomaticien et chercheur. Il a été membre de la Société Psychanalytique de Paris (SPP) et fondateur de l’Institut de Psychosomatique de Paris (IPSO), où il a formé des générations de cliniciens à une approche élargie de la souffrance somatique.
Il a également enseigné à la faculté de médecine de La Pitié-Salpêtrière, dans le cadre de l’enseignement de psychosomatique intégré à la médecine générale.
Figure majeure de la psychosomatique contemporaine, il est l’un des premiers en France à avoir ouvert un dialogue rigoureux entre psychanalyse, immunologie, neurosciences et médecine clinique.
À travers ses travaux, il propose une relecture des concepts freudiens (refoulement, développement psychosexuel, pare-excitation…) à la lumière des avancées biologiques et des constats issus de la clinique somatique.
Il est notamment l’auteur de plusieurs ouvrages fondamentaux :
- La psychosomatique (Dunod, 2007),
- Une autre approche de la maladie (PUF, 2004),
- Voyage aux confins de la maladie (PUF, 2009),
- Le psychosomatique (avec des contributions croisées, Dunod, 2015).
Son concept-clé : la saturation du psychisme. Quand le sujet ne dispose plus d’un appareil psychique fonctionnel pour traiter ses vécus, les excitations psychiques non symbolisées s’inscrivent dans le corps, produisant un équivalent somatique là où le refoulement ou la parole sont impossibles.
Par sa démarche, Jean Benjamin Stora a profondément influencé les thérapies contemporaines intégratives. Il a contribué à l’évolution des pratiques cliniques autour du trauma, de la maladie chronique et des troubles psychosomatiques, en faisant de l’interface corps-esprit non plus un territoire flou, mais un champ scientifique rigoureux.
Annexe : Recherches scientifiques liées à Jean Benjamin Stora et à la psychosomatique intégrative
Jean Benjamin Stora
Référence : La psychosomatique. Une approche intégrative, Dunod, 2007
Résumé : Jean Benjamin Stora propose une vision élargie de la psychosomatique, fondée sur la notion de « saturation du psychisme ». Lorsque les capacités de symbolisation sont débordées, les excitations internes ou externes non élaborées sont déviées vers le corps. Il articule les apports de la psychanalyse à ceux des neurosciences, de l’immunologie et de la médecine, et propose une lecture clinique inédite des maladies somatiques, notamment auto-immunes et inflammatoires.
Robert Dantzer, Lucile Capuron, Andrew H. Miller
Titre : Inflammation-associated depression: from serotonin to neuroplasticity
PMID : 21111003
Résumé : Cet article explore les mécanismes par lesquels l’inflammation chronique peut affecter le fonctionnement du cerveau, en lien avec les troubles dépressifs. Il met en évidence le rôle des cytokines pro-inflammatoires, des voies du stress et de la neuroplasticité. Ce travail s’inscrit pleinement dans la continuité des hypothèses formulées par Stora sur l’interdépendance des systèmes psychique, immunitaire et endocrinien.
Divija Deshpande, Luisa Fuchs, Christoph S.N. Klose
Titre : Neuro-immune-metabolism: The tripod system of homeostasis
PMID : 34655659
Résumé : Cette étude met en lumière les interactions complexes entre les systèmes nerveux, immunitaire et métabolique. Les auteurs défendent l’idée que l’homéostasie corporelle repose sur un système tripartite dynamique, capable d’adaptations rapides comme de dérèglements chroniques. Elle prolonge les intuitions de Stora sur l’intégration des registres biologiques dans la compréhension des pathologies psychosomatiques.
Richard Davidson
Titre : Alterations in brain and immune function produced by mindfulness meditation
PMID : 12883106
Résumé : Davidson démontre l’impact de la méditation de pleine conscience sur les fonctions cérébrales et immunitaires. Cette recherche révèle que certaines pratiques mentales ont des effets mesurables sur les biomarqueurs inflammatoires, prolongeant les modèles intégratifs du lien psychisme-corps défendus par Stora.
Jon Kabat-Zinn
Titre : Effectiveness of a meditation-based stress reduction program in the treatment of anxiety disorders
PMID : 1609875
Résumé : Kabat-Zinn valide cliniquement l’impact du MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) sur la réduction du stress, de l’anxiété et l’amélioration des fonctions immunitaires. Il montre que l’esprit, lorsqu’il est calmé ou stabilisé, influence positivement la physiologie — une perspective en écho direct avec la théorie du “psychisme saturé” de Stora.
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