L’échange entre le Dalaï Lama et des scientifiques éminents, dirigé par Daniel Goleman, psychologue de renommée mondiale et auteur du concept d’intelligence émotionnelle, s’ouvre sur une notion centrale : l’interconnexion entre l’esprit et le corps. Depuis des siècles, les traditions bouddhistes tibétaines, comme celles rapportées par Pagor Vairocana, enseignent que la maladie est souvent le résultat d’un déséquilibre émotionnel. Bien que cette idée ait été historiquement cantonnée aux textes sacrés, elle trouve aujourd’hui des échos de plus en plus convaincants dans la science moderne.

Le Dr. Francisco Varela, immunologiste et biologiste, cofondateur de l’approche de la neurophénoménologie et du concept d’autopoïèse, explique que le système immunitaire agit comme un « second cerveau ». Il décrit ce réseau complexe de cellules spécialisées comme étant non seulement défensif, mais aussi capable de mémoire, d’apprentissage, et d’adaptation, analogiquement au système nerveux. La psychoneuro-immunologie, un domaine émergent, explore comment ces systèmes interagissent pour influencer notre santé. Par exemple, il est démontré que le stress chronique peut affaiblir les défenses immunitaires, rendant le corps vulnérable aux maladies [Rudrauf et al., 2003; Deshpande et al., 2021].

Clifford Saron, neuroscientifique spécialisé dans la méditation et les sciences contemplatives, et Harris Davidson, également neuroscientifique, partagent leurs découvertes sur la régulation des émotions par le cerveau. Leurs travaux montrent que les schémas d’activité électrique dans le cerveau sont corrélés à l’expression des émotions, affectant directement la santé physique. Daniel Brown, expert en psychologie et médecine comportementale, introduit des concepts modernes comme le biofeedback et la méditation, montrant comment ces techniques aident à contrôler les systèmes biologiques perturbés par le stress [Alborzi Avanaki et al., 2023].

Les émotions, positives ou négatives, jouent un rôle crucial dans notre bien-être. Daniel Goleman explique que des émotions perturbatrices comme la colère, l’anxiété ou la dépression peuvent affaiblir le système immunitaire et aggraver des maladies existantes. Par exemple, une étude menée par le Dr. John Barefoot de l’Université de Caroline du Nord révèle que les personnes colériques présentent une obstruction artérielle plus importante, ce qui les expose à un risque accru de maladies cardiaques.

Les études sur la dépression montrent également un lien direct avec la santé. Chez les femmes atteintes d’un cancer du sein, il a été constaté que celles qui sont déprimées ont un taux plus faible de cellules immunitaires, ce qui accélère la progression de la maladie. Ces exemples illustrent de manière tangible comment l’état mental peut influencer la capacité du corps à se défendre contre les agressions [Davidson, 2003].

À l’inverse, des émotions nourrissantes comme la sérénité, l’optimisme, et surtout l’amour-tendresse, ont un effet protecteur. Des études montrent, par exemple, que les personnes optimistes se rétablissent plus rapidement après une chirurgie cardiaque et ont une meilleure longévité. Le Dalaï Lama souligne ici l’importance de la foi et des croyances, observant que de nombreux Tibétains soumis à la torture ont pu résister psychologiquement grâce à ces ressources intérieures.

Le stress est omniprésent dans nos vies modernes, et ses effets sont dévastateurs pour la santé. Daniel Brown, spécialiste en psychologie clinique et en médecine comportementale, décrit comment le stress chronique dérègle le système nerveux autonome, contribuant au développement de conditions telles que l’asthme, les migraines et le syndrome du côlon irritable. Il note que lorsque un individu est exposé à des changements de vie soudains et intenses, comme un deuil ou une rupture, le risque de maladie augmente considérablement. Mais même les petites contrariétés quotidiennes, comme des embouteillages ou des échéances serrées, peuvent s’accumuler et maintenir le corps dans un état d’alerte constant, menant à des troubles de santé graves.

Brown précise que ce n’est pas tant l’événement stressant lui-même qui est problématique, mais la manière dont notre esprit l’interprète et y réagit. Des stratégies d’adaptation saines, comme la résolution active de problèmes ou l’expression émotionnelle, peuvent atténuer l’impact du stress. Cependant, la répression des émotions ou le déni du problème ne font qu’aggraver les effets physiques du stress, aboutissant souvent à des maladies psychosomatiques [Alborzi Avanaki et al., 2023].

La méditation attentive, ou pleine conscience, se distingue nettement des pratiques plus physiques comme le yoga, bien que les deux aient des bienfaits complémentaires. Jon Kabat-Zinn, professeur émérite de médecine, a observé des résultats impressionnants dans un programme de réduction du stress basé sur la méditation attentive : une réduction de 25 % des symptômes médicaux et de 32 % des symptômes psychologiques après seulement huit semaines. Ce programme, suivi par des patients souffrant de douleurs chroniques depuis des années, a montré que la méditation attentive peut non seulement réduire les symptômes, mais aussi renforcer la résilience face au stress [Kabat-Zinn, 1992].

Contrairement à la méditation, qui se focalise principalement sur l’attention et la conscience de l’instant présent, le yoga est une pratique plus physique qui combine postures, respiration et méditation légère. Il s’avère particulièrement efficace pour les patients souffrant de douleurs musculosquelettiques, de troubles de l’équilibre ou d’autres conditions physiques. Le yoga contribue à améliorer la flexibilité, la force musculaire, et la coordination, réduisant indirectement le stress en améliorant la santé physique globale. En revanche, la méditation attentive est plus adaptée aux patients souffrant de troubles psychologiques, d’anxiété, ou de dépression, étant donné qu’elle agit directement sur la régulation émotionnelle [Davidson, 2018].

Un exemple notable de l’influence de la méditation attentive sur les fonctions corporelles autonomes concerne des patients occidentaux, qui ont réussi, sous supervision médicale, à augmenter leur température corporelle grâce à cette pratique. Ces résultats, bien qu’extraordinaires, démontrent le potentiel immense de l’entraînement mental sur les fonctions corporelles. Ils soulignent que même des fonctions autonomes du corps peuvent être influencées par la pratique méditative [Rudrauf et al., 2003].

La médecine comportementale, telle que décrite par Daniel Brown, aborde à la fois les causes des maladies et les facteurs qui les entretiennent. Par exemple, une personne peut développer de l’asthme en raison de prédispositions génétiques, mais le stress chronique peut entretenir cette maladie en modifiant la réponse du système nerveux et en provoquant des crises d’asthme. De plus, l’utilisation excessive de certains traitements, comme les pulvérisations pour l’asthme, peut renforcer la dépendance au médicament et aggraver la condition à long terme.

Cette approche holistique permet de traiter non seulement la cause initiale de la maladie, mais aussi les comportements qui la perpétuent. Elle s’avère particulièrement efficace pour les troubles psychophysiques tels que la migraine, la douleur chronique, et l’hypertension, où des techniques comme le biofeedback, la méditation et l’hypnose jouent un rôle clé dans la gestion des symptômes [Alborzi Avanaki et al., 2023].

Enfin, le dialogue entre le Dalaï Lama et les scientifiques se termine sur une note d’espoir : celle d’une réconciliation entre science et spiritualité. Le Dalaï Lama propose que les états d’esprit sains, tels que l’amour, la compassion et l’équanimité, ne sont pas seulement des idéaux spirituels, mais des nécessités biologiques pour une vie saine et épanouie. Les découvertes modernes en psychoneuro-immunologie semblent confirmer cette intuition millénaire, montrant que notre état d’esprit influence directement notre santé physique. Cela offre ainsi une base biologique à un système éthique universel, applicable à tous, quelles que soient leurs croyances religieuses [Davidson, 2003; Kabat-Zinn, 1992].

Francisco Varela, Ph. D., est directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Paris. Il est l’auteur de nombreux articles de recherche et de onze ouvrages, dont L’Inscription corporelle de l’esprit.

Clifford Saron, Ph. D., est psychologue à l’Albert Einstein Medical School, à New York City.

Richard Davidson, Ph. D., est directeur du laboratoire de Neuroscience de l’affectif à l’Université du Wisconsin.

Daniel Brown, Ph. D., est maître-assistant en laboratoire de psychologie à l’École de Médecine de Harvard. Auteur de huit ouvrages, il fait des recherches sur les traditions de méditation depuis vingt-cinq ans.

Lee Yearley, Ph. D., est professeur d’anthropologie religieuse à l’Université de Stanford. Il est l’auteur de Mencius and Aquinas, Theories and Conceptions of Courage (Mencius et Thomas d’Aquin, Théories et conceptions du courage).

Daniel Goleman, Ph. D., est journaliste scientifique, collaborateur au New York Times, et l’auteur de L’Intelligence émotionnelle.

Sharon Salzberg est professeur en titre à l’Insight Meditation Society à Barre, dans le Massachusetts. Elle est l’auteur de Lovingkindness: The Revolutionary Art of Hapiness (L’Amour-tendresse, l’art révolutionnaire du bonheur).

Jon Kabat-Zinn, Ph. D., est un professeur émérite de médecine. Il a obtenu un doctorat en biologie moléculaire du MIT (Massachusetts Institute of Technology), où il a étudié sous la direction du prix Nobel Salvador Luria. Kabat-Zinn est également le créateur du programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR), qu’il a développé à l’Université du Massachusetts Medical School, où il a fondé la clinique de réduction du stress en 1979. Son travail a joué un rôle clé dans l’introduction de la pleine conscience dans la médecine contemporaine et la santé mentale. Il est l’auteur de Wherever you go, There You Are. (Où que vous alliez, vous y êtes).

1. Rudrauf D, Lutz A, Cosmelli D, Lachaux JP, Le Van Quyen M (Reprennent Francisco Varela)
   • Titre de la recherche : From autopoiesis to neurophenomenology : Francisco Varela’s exploration of the biophysics of being
   • PMID : 12795206
   • Résumé : Francisco Varela a développé une approche novatrice de la subjectivité et de la conscience, en les reliant étroitement à leurs racines biologiques et physiques. À travers des concepts comme l’autonomie biologique, l’incarnation et la neurophénoménologie, il explore comment un esprit peut émerger dans un organisme vivant. Sa méthode combine des données biophysiques et des expériences subjectives pour mieux comprendre la génération de la conscience dans le cadre de sa « biophysique de l’être ». Dans le livre, Varela expliquait avoir exploré les liens entre le système immunitaire et le système nerveux, soulignant le rôle des lymphocytes dans la régulation de la réponse immunitaire. Dans le livre, il expliquait que ses travaux ont démontré que ces cellules ne sont pas seulement des défenseurs du corps, mais aussi des acteurs clés dans le maintien de l’homéostasie et de l’identité corporelle. Cette étude inspirée de son travail, poursuit une partie de ses idées.
   • Auteurs : Divija Deshpande, Luisa Fuchs, and Christoph S.N. Klose (Reprennent l’approche systémique de Francisco Varela sur la manière dont les processus biologiques interagissent pour créer une unité fonctionnelle cohérente )
   • Titre de la recherche : Neuro-immune-metabolism: The tripod system of homeostasis
   • PMID: 34655659
   • Résumé : Cet article explore l’interaction entre les systèmes nerveux, immunitaire et métabolique, qui sont essentiels pour maintenir l’homéostasie corporelle. Il met en évidence comment ces systèmes interagissent pour compenser les perturbations, mais également comment des déséquilibres chroniques, comme le diabète, peuvent entraîner des dysfonctionnements en cascade. L’article fournit une vue d’ensemble de ces interactions complexes et propose une approche intégrée pour mieux comprendre et traiter les pathologies associées.
2. Richard J. Davidson
   • Titre de la recherche : Alterations in brain and immune function produced by mindfulness meditation
   • PMID: 12883106
   • Résumé : Davidson a étudié les corrélations entre les schémas d’activité cérébrale et les émotions négatives, montrant comment la dépression et l’anxiété peuvent entraîner des effets néfastes sur la santé physique. Il a également démontré l’impact de la méditation sur la reconfiguration des circuits neuronaux pour améliorer la résilience émotionnelle.
   • Titre de la recherche : Mindfulness Meditation and Psychopathology
   • PMID: 30525995
   • Résumé : Dans une autre étude, Davidson a examiné l’intégration croissante de la méditation de pleine conscience dans les interventions en santé mentale. Cette étude explore comment la méditation influence les capacités cognitives et affectives, et son application efficace dans le traitement de troubles tels que la dépression, l’anxiété, la douleur chronique, et les addictions. Les recherches futures se concentreront sur la compréhension des mécanismes, l’amélioration des méthodes, et la mise en œuvre des interventions basées sur la pleine conscience.
3. Jon Kabat-Zinn
   • Titre de la recherche : Effectiveness of a meditation-based stress reduction program in the treatment of anxiety disorders
   • PMID: 1609875
   • Résumé : Kabat-Zinn a été l’un des premiers à montrer que la méditation de pleine conscience réduit les niveaux de cortisol et améliore la fonction immunitaire. Ses recherches ont également démontré que la pleine conscience peut être un traitement complémentaire efficace pour les maladies chroniques.
4. Foroogh Alborzi Avanaki, Sara Rafiee,corresponding, Hesam Aldin Varpaei, Mohammad Taher, Najmeh Aletaha, and Farshad Allameh (ont suivi les traces de Daniel Brown)
   • Titre de la recherche : Biofeedback Treatment Can Improve Clinical Condition and Quality of Life in Patients with Pelvic Floor Dyssynergy with Irritable Bowel Syndrome: A Prospective Cohort Study
   • PMID: 37547159
   • Résumé : Brown avait montré que le biofeedback, combiné à des techniques de relaxation, peut être extrêmement efficace dans la gestion du stress et la prévention des maladies psychosomatiques. Ses recherches mettent en lumière l’importance de la régulation des réponses physiologiques pour maintenir une bonne santé mentale et physique. Les auteurs cités ci-dessus ont poursuivi ses travaux.